Le mouchoir.
Les enfants d’aujourd’hui savent ils qu’il y avait dans le temps des mouchoirs en tissu ?
Grand, petit, à carreaux, blanc, brodé avec des initiales ou un monogramme, chacun avait son style.
On les rangeait soigneusement en piles dans son armoire ou sa commode, souvent à côté des chaussettes ou des sous-vêtements .On en changeait, plus ou moins régulièrement selon ses habitudes, son état de santé et la saison. Puis, ils étaient lavés, repassés et retournaient dans la pile.
Un mouchoir d’homme n’était pas semblable à un mouchoir de dame. Le type même du mouchoir d’homme c’était grand et à carreaux, pour se moucher bruyamment. Le mouchoir pour dame était plus petit, pour un usage discret, ou pour essuyer une larme.
En plus, il pouvait rendre d’autres services, ainsi qu’en témoigne l’expression désuète : « fais un nœud à ton mouchoir » bien plus imagée que l’actuel « mets un bip sur ton portable » pour se souvenir de faire quelque chose. Évidemment, moins on était enrhumé et plus on risquait d’oublier.
Et puis insidieusement, au cours des années soixante, est apparu le mouchoir en papier. Jetable, hygiénique, mais standard, anonyme et peu propice à une quelconque personnalisation. Il a marqué la fin du mouchoir traditionnel. Pas brutalement non, car il y a eu des fidèles longs à convaincre, mais inexorablement.
En fait, historiquement, l’invention est antérieure à ce que l’on pourrait croire. C’est en 1924 qu’est apparue la marque Kleenex. Je ne sais pas si nos libérateurs l’ont importé avec eux, en 1944, en même temps que le chewing-gum. Le souci de l’hygiène a fait le reste.
Et le kleenex, nom de marque devenu nom commun, a fini par prendre place dans la liste des anthroponymes (c’est comme cela qu’il faut dire si l’on est savant ), à la lettre K, avec le bruyant klaxon, le rafraîchissant kir et la déplorable kalachnikov.
Commentaires
Il est encore des personnes qui ne savent pas se passer de mouchoirs textiles ! Et ceux-ci deviennent difficiles à trouver ...
C'est mon cas : quand je me mouche dans un kleenex, je fais un trou dedans. Alors, pour mon petit noël, j'ai recommandé une douzaine de mouchoirs (à carreaux, bien sûr.
De l'utilité du mouchoir, suite.
J'ajouterais bien "mettre ça dans sa poche avec son mouchoir par dessus" dont Freud aurait pu faire ses choux gras et qui, dans notre société qui met en avant le principe de plaisir, n'est plus guère employé.
Quand nous étions enfants, qu'avons nous mis dans nos poches, soigneusement caché sous nos mouchoirs? Qu'avons enfoui et censuré? Je compte bien continuer à retourner et vider mes poches au risque de devenir une vieille dame indigne!
Comme tout cela est bien écrit. Comme ça sent bon la vieille armoire centenaire aux portes grinçantes, avec le sachet de lavande glissé sous le linge.
Moi, je ne regrette pas le mouchoir tissu et le bruissement qu'il faisait lorsque, plein de morve séchée, il fallait le redéplier. Mais c'est vrai qu'il a souvent sorti l'écolier d'un mauvais pas, venant éponger un nez percuté par un bourre-pif, ou devenant un PQ providentiel (ce qui signait sa perte) en cas de désordre intestinal inopiné dans la cour de récréation.
Un prolongement (un peu long) au mouchoir et aux objets disparus...
DES TISSUS
Des tissus qui remontent à mon enfance sont stockés dans ma mémoire comme autant d'échantillons. Ce ne sont pas tant les circonstances qui les ont sélectionnés mais plutôt une façon de regarder en "macro", une longue observation de très près. Lorsqu'on habite en ville dans un environnement quelconque, un intérieur modeste, les étoffes introduisent de la matière : textures, couleurs, motifs et du rêve.
Cet intérêt aurait pu faire de moi une styliste ou une couturière, si ce n'est que lorsque l'on me contraignait à coudre, je transformais tout ouvrage en chiffon - devenir chiffonnière ?
Ces textiles qui ornaient les berceaux de mes poupées ou constituaient les vêtements de ma mère, mes vêtements d’enfants ont disparu. J’aimerais en avoir conservé des morceaux même s'ils n'étaient pas précieux. Ils sont là comme des objets ou peut-être comme des personnages… Comment expliciter leur importance à mes yeux, comment clarifier ce que j’éprouve à leur égard ?
La cotonnade légère qui habillait le berceau en rotin était piqué de petites fleurs minuscules oranges et rouges sur fond bleu. Je le découvris à la fin des vacances. Emotion du retour, surprise, décalage dans les perceptions de l'espace après une absence longue pour une enfant, regret de l'ancien habillage, trouble par rapport à l'affection qui avait animé ma mère…? L'enfance n'a pas les mots pour analyser tous ces afflux de sensations et de sentiments. C'est peut-être pourquoi la vie est alors si intense… Les mots sont indispensables pour approfondir la pensée, mais les sensations s'en passent volontiers. Les mots sont les mêmes pour tous, forcément approximatifs, forcément limités.
Il m'arrive d'apercevoir sur des passants des toiles similaires, voire identiques à celles de cette époque. Constat surprenant puisque l’industrie textile a beaucoup évolué, mais les modes succèdent aux modes par cycles.
Certains lainages sont codés tels les écossais qui renvoient aux Clans de ce pays. A dix ans, j'avais une robe écossaise vert foncé avec des lignes rouges et jaunes. J'ai vu récemment une femme vêtue de ce tissu. Je n'ai pas eu le réflexe de l'examiner attentivement, il est vrai que la passante aurait pu s'inquiéter d'un tel comportement. N'importe, la prochaine fois, je bondirai sur la personne et prélèverai un échantillon ou, du moins, je prendrai soin d'enregistrer chaque détail, trait pour trait.
Un an plus tard, je portais un écossais marron avec du jaune et du noir, peut-être du blanc. Par la suite, la mode des jupes kilt m'en valut d'autres. J’étais adolescente, manifeste-ment, ces détails ne m'importaient plus, je me souciais sans doute uniquement de mon image et des effets qu'elle produisait. Je revois, vague-ment, un autre écossais sur fond blanc avec du rouge et du vert.
Ces couleurs me rappellent un petit tricot de corps avec des lignes vertes et rouges (j'en possédais un autre fait de raies bleues et oranges). Assemblées en quinconces, elles produisaient un effet cinétique qui donnait le tournis. Ainsi vêtue, je marche sur une route en direction d’un château, le soleil rayonne. Toute une foule se dirige vers le parc où se déroulera un défilé de chars fleuris. Coincée dans la foule, voyant mal, agacée par une fillette de mon âge qui me gène, je l'ai pincée. Je me demande même si je n'ai cherché à la pousser dans l'eau. Pourquoi ces deux souvenirs, ce jour là, et rien sur le jour d'avant ou le jour suivant… Actuellement, ces tissages ressurgissent sur le marché en provenance de pays lointains, dans des matières qui paraissent particulièrement syn-thétiques.
Le drap des manteaux des hommes retenait mon attention : trame ton sur ton, chevrons intégrés. J'avais horreur et, encore maintenant, des « pieds de poule ». Ils dansent aussi mais je les trouve vulgaires et leur nom est ridicule.
En fait, le nombre de tissus que j'ai mémorisé est assez limité. Une robe rouille en laine ornée de petits boutons noirs brillants (couleurs inhabituelles pour les enfants de cette époque), un chemisier jaune avec de fines rayures plus claires, manches ballons serrant trop les bras…. Sur une robe de ma mère de grosses pastilles vertes et blanches, en partie superposées, en partie décalées, c'est l'été, les tissus sont légers, les corps se devinent... J'ai une robe grège parsemé de coquelicots et de bleuets, légèrement gaufrée, ornée de petites aspérités plus claires. Un vêtement très élégant, récupéré par ma mère, est taillé dans un drap noir et blanc, couleurs renvoyant au deuil mais la coupe du vêtement est trop audacieuse pour correspondre à de telles circonstances. Des laines chinées, des feutrines… Je pourrais examiner les photographies de cette période, mais elles ne sont pas en couleurs.
L'importance accordée à ces détails est peut-être liée au fait que l'achat d'un vêtement constituait un événement. Les hommes de la maison se rendaient chez un petit tailleur, ils choisissaient un modèle, désigné un échantillon. Des mesures étaient prises, des séances d'essayage avaient lieu. On discutait les prix. Pour les femmes et les enfants, beaucoup de vêtements étaient confectionnés à la maison à l'aide de "patrons" vendus dans des revues féminines. On disposait les coupons sur la table, on traçait les formes avec des craies grises légèrement bleutées, on les assemblait à grands points de fil blanc avant de les essayer lors de séances interminables où il fallait rectifier une retombée avec des épingles qui piquaient au passage, puis la machine à coudre à pédale entamait sa musique.
Peu après, il devint plus économique de recourir au prêt à porter. Adolescente, j'ai acheté beaucoup de vêtements. Ces vêtements étaient comme des mues, témoignant des métamorphoses successives. Je crois qu'un auteur vient d'écrire sur ce thème, du moins ce que le critique en disait me l'a laissé supposer : rencontre conjoncturelle, idées sociétales… Les écrivains sont à l’affût. Il semble que le best seller du moment entretient une similitude avec mon dernier roman publié, sur lequel j'ai travaillé pendant dix ans.
Au Salon de Paris, une visiteuse l'acheta pour son titre "Le Livre à l’envers". Elle envisageait de l’offrir à une amie qui avait pour habitude de lire tous les livres de la dernière à la première page. Si mon livre avait été effectivement imprimé à l’envers, cette lectrice aurait, pour la première fois, lu un livre à son début. Cette acheteuse m'expliqua que dans les Salons, elle se donnait des pistes pour ne pas être noyée par la multitude des ouvrages et aussi pour limiter ses achats. Par exemple, elle décidait d'acquérir uniquement les livres dont les titres incluaient une couleur. Cette démarche me paraît excellente : elle cherche, trouve, en somme elle «chine» !
J’aime ce type d'échanges inattendus et revigorants. Ils compensent les faux questionnements qui assèchent la gorge et sèment le doute dans l'esprit du créateur, sans compter les moues dubitatives qui envahissent les visages des visiteurs en regardant les couvertures…
Comment suis-je passée des tissus aux livres ? Peut-être à cause de Pénélope qui, comme moi, faisait et défaisait le même ouvrage inlassablement ou à cause de la tapisserie de la Reine Mathilde qui se lit comme un livre ouvert ou, puisque que le papier peut se fabriquer à partir de chiffons, faire, en retour, un "papier" sur les tissus, ou parce que les vêtements, comme les livres, se portent à l'envers dans certaines circonstances : Carnavals, jour des fous… Une coutume marocaine incite à porter les vêtements retournés pour déclencher la pluie.
Faut-il que je retourne ma veste pour retrouver le fil de mon propos ? Et de fil en aiguille, suivre le droit fil, fil de chaîne, fil de trame, fil d'Ariane… labyrinthe de la pensée et des souvenirs cousus de fils noirs.
Extrait de Ricochets - Colette Brogniart
Dorment encore, au fond de mes tiroirs ,quelques mouchoirs en tissu qui ne sortent plus que sous le nom de draps pour le lit des poupées Corolle de ma petite fille.
Abandon insidieux d'un objet quotidien qui a semblé longtemps indispensable.
L 'émotion,c'est dans la lumière d'été des vacances chez mes grands-parents,
dans le pays de Bray,je revois le "mouchoir à quatre noeuds" qui protégeait la tête
de ma grand-mère ,lorsque nous cueillions des haricots verts ou des des haricots beurre. Leur goût arrosés de crème fraîche!