J'avais dû déposer mon dossier en hiver, c'est au printemps que j'ai reçu une convocation pour un entretien. Je fus reçu à la Sorbonne, qui abritait le rectorat de Paris, par une inspectrice dont le souvenir que j'en garde est surtout qu'elle était frigorifiée, le printemps parisien de 1969 devait être assez frais. Enfouie sous un grand châle en laine, dans un bureau très sombre auquel on accédait par un dédale de couloirs à partir de la rue de la Sorbonne, elle m'a questionné avec bienveillance pendant environ vingt minutes. Je m'attendais à autre chose que cette espèce de conversation de salon que nous avons eu sur mes motivations. Je pensais qu'une partie de l'entretien se déroulerait en anglais, pour vérifier que je maîtrisais au moins les rudiments de la langue, d'autant plus que je n'étais qu'en deuxième année de licence. Il n'en a rien été. Elle a conclu l'entretien en disant : « de toute façon, avec votre prestance, vous devriez vous en sortir ». C'était à la fois flatteur, et peu rassurant.

J'espérais recevoir une réponse à la fin du mois d'août et je commençais un peu à m’inquiéter, lorsqu’à la mi-septembre, quelques jours après la rentrée scolaire, j'ai enfin reçu une enveloppe contenant un papier rose issu d'une liasse carbonée, me nommant maître-auxiliaire de troisième catégorie au collège d'enseignement technique de Juvisy-sur-Orge.

Je constatais sur le plan que l'établissement ne devait pas être très loin de la gare, ce que je trouvais plutôt bien puisque je n'avais pas de voiture. Cependant, pour une première exploration j'empruntais la voiture de ma mère, ce qui devait se révéler une bonne idée. En effet, parvenu devant ce que je pensais être mon établissement d'affectation, à quelques centaines de mètres du pont de Juvisy, je m'adressais au gardien, ma nomination à la main. Hélas, j'appris que ce n'était plus le collège d'enseignement technique depuis cette rentrée, que l'établissement avait été transféré à Draveil, plus exactement à l'autre bout de Draveil à plusieurs kilomètres de là. Ayant tenté de mémoriser les explications du gardien (vous prenez tout droit, puis un peu à droite, puis vous tournez à gauche à droite de l'église, etc.), je repris ma voiture et je finis par arriver « chemin de la citadelle », en bordure de la forêt de Sénart, où j'aperçu quelque chose qui ressemblait à un établissement scolaire . Là, le gardien sollicité m'apprit que je n'étais pas au collège d'enseignement technique (C.E.T) mais au collège d'enseignement secondaire (C.E.S.) Alphonse Daudet :

— Le C.E.T, c'est à l'autre bout de la rue, d'ailleurs vous êtes passé devant en arrivant.
— Mais, il n'y a rien là-bas, je suis passé devant un chantier.
— Si, si, il y a des élèves, des professeurs, une directrice. Vous verrez.

Je retournais devant ce que je continuais à considérer comme un chantier. J'y pénétrais avec précaution, au milieu d’outils divers, et surtout dans une épaisseur de boue considérable pour laquelle mes chaussures n'étaient manifestement pas faites. Un ouvrier qui passait par là, un extincteur au bout de chaque bras, me proposa de me conduire jusqu'à la directrice. Je le suivi sur une planche glissante qui enjambait un fossé au fond duquel serpentaient des tuyaux et il me conduisit jusqu'à la porte d'un bureau. La porte était ouverte. Debout sur le bureau un ouvrier farfouillait dans les fils électriques qui pendaient du plafond. Sur la partie du bureau qu'il ne piétinait pas, quelques dossiers étaient ouverts sur lesquels travaillait une dame aux cheveux gris. Elle leva la tête et me sourit :

— Bonjour monsieur, que puis-je pour vous ?
— Bonjour madame, je crois que je suis nommé ici, en lettres-anglais.
— Ah, très bien, je vous attendais avec impatience et vos élèves aussi.

Le lieu ne se prêtait pas, dans l’état où il était, à une longue conversation et d'ailleurs elle occupait la seule chaise du bureau. Elle se contenta donc de me donner mon emploi du temps et la liste de mes classes, et me fixa rendez-vous pour le surlendemain. J’avais donc finalement un poste.